Le numérique, révolution ou transformation pour les commissaires aux comptes ?
Publié le mardi 25 juillet 2017
Tribune de Jean Bouquot, Président de la CNCC
La révolution numérique n’est pas un vain mot ni une exagération. Nous sommes transportés dans un nouveau monde. Nous le sommes au quotidien en tant que citoyens, parfois investisseurs et consommateurs.
La très grave crise financière, qui a ébranlé l’économie mondiale et dont nous sortons à peine, a profondément affecté la confiance dans le monde financier. Cela a conduit les représentants politiques à renforcer le rôle des régulateurs pour redonner confiance aux citoyens et aux acteurs économiques.
La combinaison de cette perte de confiance dans les institutions avec les champs immenses offerts par les nouvelles technologies fait légitimement naître une aspiration et un besoin de transparence dans de multiples domaines.
Se revendiquant comme des créateurs de confiance, mais aussi des tiers de confiance, la profession de commissaire aux comptes doit répondre à ces attentes et se transformer. Comprendre les enjeux et les risques et maîtriser les technologies au service de sa mission.
Voici quelques champs où s’exerce déjà cette transformation :
Méga données (ou Big Data) : comme tout individu ou acteur économique, grâce à la révolution numérique, le commissaire aux comptes a potentiellement accès à un immense stock de données.
En un clic, à condition de savoir accéder aux données pertinentes et de savoir en vérifier la qualité et la source, il n’existe théoriquement plus de limites à la consultation et la mise en relation de données observables.
Difficile ensuite de ne pas exploiter avec intelligence et discernement ces mégadonnées.
Data analytics : pour ne pas être noyé sous la masse de données disponibles, un savoir-faire s’est construit, maîtrisé par des experts (data scientists), et requiert des outils d’extraction, de mise en relation et d’analyse. Mais cette sophistication intellectuelle et industrielle est aussi adaptable à des environnements moins complexes et à des masses de données moins gigantesques grâce à des logiciels pilotables par des non experts.
Intelligence artificielle : le recours à des algorithmes peut suppléer l’intervention humaine. Il peut même la dépasser dans l’analyse des données et la mise en évidence d’erreurs ou d’anomalies, de domaines de faiblesse ou de risques. Il peut aussi transcender l’analyse de l’historique et projeter dans le prédictif.
Robots : robots, drones commencent déjà à être employés par exemple pour l’observation et la vérification d’inventaires physiques ou de biens. Ils permettent d’accéder à des espaces où l’intervention humaine est plus lente ou plus risquée et d’avoir des observations plus exhaustives.
Blockchain : construite sur le principe de traçabilité des transactions, comparable à un livre de comptes géant, la blockchain est susceptible de remettre en cause l’intérêt d’un tiers de confiance externe. Elle pose néanmoins de nouvelles problématiques de sécurité, de confidentialité, de respect de l’environnement légal et réglementaire.
Cybersécurité : la vulnérabilité est croissante et pose de réelles questions de survie. Les attaques mondiales récentes de cybercriminalité démontrent l’importance cruciale de l’enjeu pour tout acteur économique et tout citoyen. Se protéger, se défendre et réagir exigent des expertises et du savoir-faire mais aussi du partage de connaissances et de l’anticipation.
Bien entendu, ces champs de transformation sont en perpétuelle évolution, au rythme rapide de la révolution numérique.
Le commissaire aux comptes n’a pas la prétention d’en maîtriser toute la complexité. En revanche, de même qu’il n’est pas capable de construire ni de réparer le moteur à combustion de son véhicule, il doit comprendre les risques associés à son bon usage, son entretien, et plus généralement à la conduite du véhicule.
Expliquer les règles, veiller à leur respect et anticiper les évolutions à venir. Ceci requiert une indépendance d’esprit, un savoir technique, de la curiosité et du jugement professionnel.
Faire preuve de discernement, se poser des questions et en poser, avoir un doute constructif, être indépendant d’esprit et d’attitude, avoir en permanence à l’esprit la notion de risque et de dérive des comportements (perte de repères des individus ou des collectivités, criminalité, guerre économique).
Ceci nécessite aussi de l’investissement en acquisition de connaissance et de compréhension des enjeux, en outils et plus fondamentalement en collaborateurs qualifiés.
Dans une profession française qui regroupe 13.500 consœurs et confrères, le rôle de l’institution est d’éclairer et d’accompagner sur le chemin de cette véritable révolution au temps accéléré.
Elle doit le faire par la formation, par la pédagogie, par la mise à disposition d’outils, par la veille technologique, par l’anticipation des risques, par la réflexion et par une action volontaire sur l’évolution des normes d’exercice professionnel.
Le numérique soulève de nombreuses questions pour la profession : retrouvez les échanges issus du live-tweet que nous avons consacré à cette thématique.